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Qu’est-il arrivé à Maria Ghjentile Belgodere ?

En 1769,  Maria Ghjentile Belgodere est cette jeune fille d’une vingtaine d’année, fiancée à un jeune homme de cinq ans son ainé : Giovanni Guidoni.

Bel hommage à Maria Ghjentile que ce discours d’Antoine Vincenti, U merre di U Poghju d’Oletta.

 

In di u 1769 a nostra Maria Ghjentile vive l’orrore.
U so cumpagnu, Giò Guidoni, ammazzatu, hè lasciatu mortu cù i so cumpagni, senza tomba, spostu nant’à una rota in piazza à u cunventu San Francescu.

Tous deux vivent à une époque très tourmentée de l’histoire de notre île, celle de la guerre de 40 ans qui a débuté en 1729 et qui s’est achevée en mai 1769.

Maria Ghjentile s’est illustrée en 1769, à l’occasion de l’épisode connu sous le nom de conspiration d’Oletta dont la réalité nous a été transmise par divers historiens et surtout par les recherches de notre compatriote M. Antoine de Morati, originaire de San Fiurenzu, qui a pu consulter les pièces du procès des auteurs et complices de cette conspiration et qui les a publiées dans le bulletin de novembre et décembre 1893 de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse.

Révolte

[…] En 1729, les Corses usés par plus de quatre siècles de domination génoise, se révoltent afin d’obtenir leur indépendance.

En 1755, au siècle des lumières, Pasquale Paoli est proclamé père de la patrie et général de la nation. Il est alors l’initiateur d’une constitution considérée comme la première constitution démocratique du monde moderne qui contribuera d’ailleurs à l’élaboration de celle des États-Unis d’Amérique.

En 1768, le 15 mai, c’est le traité de Versailles qui consacre la souveraineté de la Corse par les Génois à la France.

Pour imposer son gouvernement, le roi Louis XV envoie alors sur l’île des renforts importants sous l’autorité du comte Marbeuf.

Le marquis de Chauvelin, commandant en chef des troupes en Corse, s’empare d’Oletta où il établit son quartier général à la tête d’une garnison de 1500 soldats, qui place sous les ordres du marquis d’Arcambal.

Au début de 1769, Pasquale Paoli, s’étant ménagé des intelligences avec les habitants de la région, envisage de lancer une attaque afin de surprendre et neutraliser cette garnison.

Pour ce faire, il décide de s’appuyer sur l’abbé Francesco Antone Saliceti, surnommé Peverino, qui avait imaginé d’introduire un groupe de partisans par la porte « démurée » d’une cave située à Muntaghjò et appartenant à Don Pietro Leccia, de les faire passer, de là, à la maison de Santamaria où se trouvaient quatre officiers et leurs hommes ; et de la sorte, s’étant emparé de ce poste important, favoriser le succès d’une attaque concomitante du village par deux détachements de Corse, l’un venant d’Oletta di Tuda et l’autre sortant de Poghju.

D’Archambal, instruit par Pietro Boccheciampe de ce projet, fit procéder à de nombreuses arrestations.

Procès

Marbeuf ordonne alors que les inculpés soient traduits devant un conseil de guerre sous les chefs d’inculpation de « conspiration » et de « complot contre le service du Roi » alors que le prétendu crime n’avait pas encore reçu un commencement d’exécution.

L’instruction commencée le 13 février 1769 fut terminée le 3 mars de la même année.

Le procureur général, sans plus ajouter aux faits établis par ce conseil, a finalement aggravé l’accusation des prisonniers qui se trouvèrent, non seulement inculpés de conspiration, mais également de crime de haute trahison et, par conséquent, de crime de lèse-majesté, pour avoir voulu égorger les officiers et soldats de la garnison.

Le 17 juillet 1769, la juridiction de jugement, saisie du cas de 30 mises en cause dont seulement 18 sont incarcérées, rend sa décision.

Les peines les plus lourdes concernent cinq patriotes : Don Pietro Leccia ; Francesco Antonio Santamaria dit Totto, Dominique Cermolacce, tous trois d’Oletta, Jean Guidoni et Jean Camile Guidoni, de Poghju.

Mise à mort

L’exécution de la sentence eut lieu le 25 septembre 1769 à une heure après minuit sur la place de la citadelle à Bastia.

Les condamnés furent d’abord mis à genoux, tête nue, les mains attachées, afin de subir la question ordinaire, dite des canettes, puis la question extraordinaire dite de la corde.

À six heures du matin, ils furent conduits devant la porte principale de la cathédrale Santa Maria à Bastia pour y faire, à genoux, amende honorable. Le jour même, ils étaient transportés à Oletta au couvent San Francescu où, après avoir à nouveau fait amende honorable, ils furent rompus vifs.

Ensuite, sous le regard population concernée, leurs corps morts martyrisés furent exposés, face tournée vers le ciel sur des roues dressées à cet effet. Ils furent privés de sépulture.

Des seules pièces du procès, il ressort que la gravité des crimes imputés aux suppliciés apparaît finalement disproportionnée au regard d’une conspiration qui n’était qu’un acte militaire conçu par des patriotes ; au demeurant inabouti regard d’une conspiration.

En outre, l’horreur des supplices témoigne d’une férocité judiciaire qui ne pouvait même pas trouver sa justification dans l’exemplarité des peines, la guerre ayant pris fin en mai 1769 lors de la défaite de Ponte Novu.

Héroïsme

C’est dans ce contexte terrible que notre Maria Ghjentile pris la décision de se rendre, la nuit venue, au couvent, afin de donner une sépulture chrétienne à son fiancé.

Maria Ghjentile accompli cette action alors qu’elle sait que le fait pour quiconque d’enlever un condamné du gibet d’infamie est puni de la peine de mort.

Aussi, comment ne pas rapprocher cet acte à celui de l’Antigone de Sophocle, s’opposant à son oncle Créon, roi de Thèbes, qui voulut donner une sépulture décente à son frère rebelle, Polynice, considéré comme un traître à sa patrie.

Comme Antigone, Maria Ghjentile réalise un acte illégal mais essentiel : il lui faut donner une sépulture digne à son fiancé mort.

Elle consacre ainsi la supériorité du pouvoir divin sur le pouvoir temporel qui ne respecte même pas les morts.

Au-delà de l’accomplissement de cet acte très courageux, éprise de justice, la voici qui va se présenter au juge à Bastia afin de se dénoncer et de déclarer que les parents du supplicié, qui avait été arrêté et que l’on s’apprêtait à juger parce que présumé coupables de l’enlèvement de leur fils, étaient innocents.

Elle demandait à subir seule la sanction de son acte.

L’histoire nous dit que le juge admira son courage et sa piété et qu’il déclara qu’elle était libre, ainsi que les parents de celui qu’elle avait aimé d’un amour si noble.

Comme Antigone, Maria Ghjentile s’est illustrée par la résistance au pouvoir injuste de l’époque avec, pour seule arme, sa piété et ses convictions.

Son acte héroïque met ainsi en évidence des conflits qui existent entre conscience, justice, loi, obéissance.

De toutes les époques

Vous le savez bien, cette opposition est de toutes les époques, même si elle prend une acuité toute particulière dans les périodes critiques de l’Histoire.

Maria Ghjentile est celle qui librement se dresse les mains nues et qui dit « non » quitte à payer de sa vie sont refus, et qui finalement gagne son combat.

Maria Ghjentile est une figure immense qui nous interpelle parce que son dessein d’associer la vie à la mort est immanent à toute conscience humaine.

On sent bien que chez elle l’instinct de vie est indissociable de l’instinct de mort et qu’il ne peut y avoir d’Homme sans mémoire, sans fibre affective et émotionnelle.

Comme Antigone, Maria Ghjentile nous incite à finalement réfléchir sur les motivations profondes de nos actes.

Comment, en effet, concilier justice et liberté dans un monde où les ordres s’opposent de plus en plus à nos convictions morales ? Comment déterminer quand nous devons contester la règle ?

Comme le dit Socrate, on se doit sûrement d’agir avec sagesse en faisant preuve d’un exercice aigu de prudence et d’un jugement sûr animé par la droiture.

Plus encore, il me semble important de vous dire, en ce lieu chargé d’émotions, que chacun, d’où qu’il vienne, dans sa quête de la liberté et de la vérité doit pouvoir vivre en paix avec lui-même et avec les autres.

À nous tous donc, en conscience, de réfléchir et de juger les questions éthiques et politiques qui se posent à nous en tant que citoyen au regard de l’acte accompli par l’Antigone Corse, Maria Ghjentile.

Alors qu’Elie Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986 vient de nous quitter, je vous invite à méditer cette belle parole :

« je crois en l’Homme malgré les hommes ».

Éléments sur la vie de Maria Ghjentile

[… nous avons réalisé un travail en collaboration avec l’association Corsica Genealogia] sur la généalogie de Maria Ghjentile.

Ce travail m’a permis d’avancer un peu plus dans la certitude quant à l’identité du fiancé de notre héroïne qui, comme le soutiendra sa monographie de notre village, l’abbé Antoine Costa, serait Giovanni (dit Giò) Guidoni.

[…]

Nous avons ainsi pu repérer l’acte de mariage de Maria Ghjentile avec Giò Santu Guidoni (le seul frère survivant avec qui elle s’est finalement mariée le 30 décembre 1770), acte faisant état dispense pour affinité au deuxième degré.

Comme moi, vous savez que deux frères sont des parents au deuxième degré.

Alors vous comprendrez que je puisse affirmer que Giò Guidoni, le conjuré mis à mort le 25 septembre 1769, frère de Giò Santu Guidoni, était bien le fiancé de Maria Ghjentile.

À tous ceux qui l’auraient oublié ou qui n’était pas là l’année dernière, je rappelle que Maria Ghjentile a vécu dans cette maison (Voir photo de Une) où elle s’est éteinte le 30 mai 1820 à l’âge de 72 ans et qu’elle a eu 11 enfants dont deux ont été appelés Giovanni, en mémoire certainement de son fiancé disparu.

Discours d’Antoine Vincenti
Merre di U Poghju d’Oletta
Lors d’une cérémonie dédiée à Maria Ghjentile le 9 Juillet 2016.

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